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«Il a ajouté un chapitre sur le Rwanda»

Jonathan Littell, écrivain, évoque ce qu'il doit à l'historien :

Jonathan Littell, prix Goncourt 2006 pour les Bienveillantes (Gallimard), a réagi pour Libération à la mort de Raul Hilberg.

Que représente pour vous Raul Hilberg ?
C'est l'auteur incontournable sur la Shoah. Il a été le premier à la conceptualiser, à en avoir une approche presque structuraliste. Il s'est focalisé spécifiquement sur la Shoah, il a montré comment la bureaucratie allemande a été un acteur à part entière. Il s'est dégagé de tous les autres historiens dès la première édition de la Destruction des Juifs d'Europe, qui est tellement frappante même si elle est passée presque inaperçue à l'époque. Tout ce qui vient après s'appuie sur lui. En outre, en anglais, c'est un texte magnifiquement écrit. C'était vraiment un styliste, ce qui est rare chez les historiens. Il y a un humour presque insolite et comme une musique dans le déroulement du livre.

Vous l'avez lu quand ?
Quand j'ai fait les recherches pour mon bouquin, il y a six ou sept ans. Mais j'y suis retourné souvent. C'est presque un dictionnaire. Il m'a été utile en permanence, je m'y référais tout le temps pour tout ce qui concerne les structures bureaucratiques, les tableaux d'organisations, quand je cherchais un détail sur le déroulement de certaines séquences. Il y a dans le livre un imaginaire très spatial.

Comment expliquez-vous que «la Destruction des Juifs d'Europe» ait été si mal accueilli par les instances juives ?
Je ne sais pas. Mais je sais qu'il en a énormément souffert. Je crois qu'il n'a été vraiment reconnu qu'à la fin des années 70 ou au début des années 80. A côté de la politique de la mémoire telle qu'elle est développée en long et en large, la vision qu'il représente ne correspond pas à celle véhiculée par Yad Vashem. Le rejet qu'il a subi était idéologique.

Avez-vous le sentiment que vous et votre travail lui devez quelque chose ?
Enormément. Quoi en détail ? Qu'est-ce que je dois au Petit Robert ? Tout jusqu'à un certain point. Je voudrais ajouter que cela fait soixante ans - il y a dix ans cela faisait donc cinquante - que tout le monde dit à propos de l'Holocauste : «Plus jamais ça». Et puis il y a eu de nouveau «ça», avec le génocide rwandais. Il est alors, à ma connaissance, le seul historien qui ait réagi. Il n'est pas resté dans sa bulle académique à étudier la Shoah comme il aurait étudié Chateaubriand. Il a estimé qu'il ne pouvait pas rester spécialiste de la Shoah sans dire un mot de ce qui se passait, et il a ajouté à son livre un chapitre sur le Rwanda, sous prétexte qu'on ne peut pas passer son temps à dire «Plus jamais ça» et tourner la tête de l'autre côté quand ça se passe sous nos yeux. Le livre se termine là-dessus. Ça montre comme cet homme avait une vraie profondeur morale, comme il s'intéressait à l'essence du crime, du mal.

Propos recueillis par Mathieu Lindon - Copyright © Libération mardi 7 août 2007

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